En ce mois de ramadan 2024, s’il y est un produit recherché par les Algériens pour leur plat phare, c’est bien le « frik ». Pour de nombreuses familles, il est indispensable à la préparation de la chorba. Obtenu à partir de grains de blé vert grillés, ce produit témoigne de l’inventivité des agriculteurs algériens.

Produit essentiellement à l’est de l’Algérie, au sud de la wilaya de Khenchela mais également dans la région de Constantine, les connaisseurs vous le diront : la saveur du frik est typique selon son terroir.

Il n’est pas rare qu’à la fin du printemps des consommateurs récoltent en bordure de champs quelques épis de blé pour les sécher et les griller chez eux.

Voici comment est produit le « frik » en Algérie

Mais le gros de la production est le fait d’agriculteurs spécialisés car récolter de grandes quantités d’épis encore verts et les griller nécessite un certain savoir-faire. Il n’existe pas de matériel spécifique pour ce type d’opération, aussi les agriculteurs innovent en la matière.

Pour récolter les épis, des agriculteurs ont installé des faucheuses au-dessus de remorques. Les épis ainsi coupés s’accumulent directement dans la remorque.

Il s’agit ensuite de les faire sécher durant une douzaine d’heures puis de les mettre en tas ou en andains à même le sol afin de les enflammer. Cela, juste le temps de faire brûler les tiges et les glumes.

Cette opération a été modernisée par l’utilisation de « lances flammes » constituées d’une longue tige en métal raccordée par un tuyau flexible à une bonbonne de gaz.

Ce travail est manuel et il consiste à remuer continuellement le tas d’épis en flamme à l’aide de fourches au long manche. Aussi nécessite-t-il une main d’ouvre nombreuse.

Une fois grillés, les épis sont introduits dans une moissonneuse-batteuse à poste fixe ce qui permet de récupérer les grains. Ceux-ci présentent alors une belle couleur verte.

Reste ensuite à trier les grains pour éliminer d’éventuelles impuretés tels des débris végétaux ou de cailloux de petites tailles. Les grains de blé sont ensuite concassés.

Un gros producteur à Tébessa

Depuis des années à Tébessa l’agriculteur Faycal Sellami produit annuellement jusqu’à 400 quintaux de frik, essentiellement du frik de blé tendre. La chaîne TV Echourouk News lui a consacré un reportage en 2015. Le processus de fabrication est optimisé à l’extrême, il mobilise jusqu’à 6 personnes.

Pour la récolte, il dispose d’une remorque faucheuse d’épis. Une fois séchés, les épis sont grillés à l’aide de « chalumeaux » et disposés en andains. Une moissonneuse-batteuse reprend ensuite les andains puis déverse les grains sur de grandes bâches plastiques.

Le nettoyage des grains est réalisé à l’aide d’un tamis animé par l’intermédiaire d’une bielle reliée à un moteur. Le tamis est rechargé à la main par déversement à son point le plus haut de seaux remplis de grains. En son point le plus bas, il permet l’ensachage des grains dans des sacs de 50 kg.

Le packaging reste rudimentaire. L’ensachage est réalisé à partir de sac en plastique, des sacs récupérés après usage et portant la mention « Cevital Sucre ».

Le frik est vendu par l’agriculteur à des commerçants provenant de Biskra, Sétif, Alger et de nombreuses wilayas.

Une tradition également répandue en Palestine

En Palestine où la tradition du frik ou « freekeh » est très répandue, des artisans ont construit des fours constitués d’un long cylindre en métal animé d’un mouvement rotatif. À l’image des fours des cimenteries, l’inclinaison du four permet le déplacement progressif des épis.

Ce type d’installation semi-industrielle permet la production de grandes quantités de frik et son exportation vers la Jordanie voisine.

En Algérie, la commercialisation du frik est souvent le fait d’intermédiaires qui achètent la production des agriculteurs et la revendent à des détaillants en réalisant une marge conséquente.

En 2022, le prix de détail atteignait les 350 DA le kilo ou 35.000 DA le quintal. Un chiffre bien supérieur lorsque l’agriculteur vend le quintal de blé dur à 6.500 DA.

Ce type de production est typique de zones marginales. La production de frik serait apparue en période de disette alors que les réserves de blé des agriculteurs étaient épuisées et que la récolte était lointaine. Aussi, la seule façon de pouvoir consommer du blé encore vert était de le griller.

Par ailleurs, dans les régions céréalières à haut potentiel, les grandes quantités de blé récoltées font qu’il est préférable pour les agriculteurs de le vendre directement aux Coopératives de céréales et de légumes secs.

Comment est consommer le frik à l’étranger

Il existe des contre façons mais celles-ci sont facilement détectables. Mis dans de l’eau, le frik colore légèrement celle-ci. Elle prend alors une teinte marron clair alors que les contrefaçons à base de blé teinté par un colorant alimentaire colorent l’eau en vert.

À l’étranger, le frik est consommé de différentes façons. En dehors de la traditionnelle chorba, il trouve sa place dans des hors-d’œuvres ou des ragoûts. Le frik a fait son apparition dans l’épicerie fine. À Paris, le frik bio de Palestine est vendu à 6,75 € les 250 grammes. Il est également à la table de restaurants de chefs étoilés.

Par : Djamel BELAID, expert agricole